Bernard Vélia, une vie de service et de cœur
Né le 12 novembre 1962 à Petite-Île, Bernard Vélia a grandi dans une famille modeste, où le travail et le sens du devoir tenaient lieu de boussole. « Mon père était conducteur d’engin, ma mère était au foyer », raconte-t-il, avec cette pudeur tranquille de ceux qui savent d’où ils viennent. Aîné d’une fratrie de trois enfants, il a à son tour transmis ces valeurs d’effort et de bienveillance à ses deux filles : l’une infirmière, l’autre aide-soignante. « Le secours, on dirait que c’est de famille », sourit-il. Sa femme, agent au conseil départemental, partage la même idée du service public, celui qu’on rend sans faire de bruit, mais avec constance.
Le rêve d’enfant devenu vocation
Mars 1991 : Bernard enfile pour la première fois l’uniforme de pompier à Petite-Île. « Comme tous les gamins, je rêvais d’être pompier. Mais moi, j’ai eu la chance de le devenir. » À l’époque, le corps des sapeurs-pompiers de La Réunion est déjà départementalisé. Bernard s’engage par idéal : se sentir utile, être là pour les autres. « Je n’ai jamais regretté mon choix. Mais après certaines interventions, on se posait toujours la même question : a-t-on fait ce qu’il fallait ? »
Il se remémore d’ailleurs certaines interventions avec émotion. Début des années 1990, la mer rejette le corps d’un pêcheur en apnée disparu à Manapany. Bernard descend, seul, sur la falaise. « On n’avait pas de lot de sauvetage, rien pour se sécuriser. C’était dangereux, mais il fallait essayer. » À chaque vague, ses camarades crient : attention ! Il se plaque contre la roche, reprend son souffle, recommence. « La mer a fini par reprendre le pêcheur. Ce jour-là, j’ai compris qu’on ne peut jamais sous-estimer la nature, et qu’agir avec prudence, c’est déjà se protéger. »
Le feu, la fraternité et l’humour
Tous les souvenirs ne sont pas sombres. Il y a aussi les moments de camaraderie, d’absurde même. « Une fois, on était engagés sur un feu de forêt au Tévelave. On nous déroute pour aller en renfort sur un feu de maison à Saint-Pierre. Alors on s’équipe au complet, prêts à affronter le brasier : casque, cuir, etc. Et là, surprise : c’était un feu de cannes ! » Équipés pour le feu urbain sous un soleil de plomb, l’équipe fond littéralement. Et le pire : le camion tombe en panne. « On nous dit de rentrer chez nous. Alors on rentre. À 3 heures du matin, le téléphone sonne : “vous êtes des déserteurs !” » Il éclate de rire : « On en rigole encore. »
Mais il y a aussi les drames. Vers 2009, un accident domestique : un bébé de seize mois, percuté par un camion. « Boîte crânienne enfoncée. On a tout fait avec le SMUR, tout. Le pédiatre a dit que c’était fini. » Sa voix se voile : « Certains événements, on ne les oublie jamais. »
« On faisait du sapeur-pompier »
Bernard aime rappeler combien le métier a changé. « À Petite-Île, on avait un UNIMOG1 et c’est tout. Puis un VTU2 bricolé par le sergent-chef Joseph Chamand. On faisait du prompt secours avec ce qu’on avait. » Il se souvient des débuts, quand la débrouille remplaçait la norme : « Aujourd’hui, les engins et la formation ont fait un bond incroyable. Le SDIS a évolué, mais il ne faut pas oublier : le SDIS, c’est nous. »
Il évoque la confiance d’antan : « 1 + 1 + 1 = 1 équipe. » Une formule qu’il répète comme un credo. « Confiance, solidarité, ces valeurs-là, je trouve qu’elles se perdent un peu. » Chef d’agrès tout engin depuis 2008, il a vu grandir des générations de pompiers, et se dit fier d’avoir contribué à cette continuité.
L’autre côté de la radio
En 2014, une inaptitude médicale l’écarte du terrain. Il rejoint le CRRA, le centre de réception et de régulation des appels3 : « On gérait onze centres de secours. J’étais opérateur, parfois adjoint chef de salle, même chef de salle. Mais c’est un pincement au cœur : on envoie les engins, on ne part plus avec. » Quand le CRRA ferme, il est affecté à Saint-Pierre, où il participe à la création du service logistique : pharmacie, magasin, dotations. « Je suis parti avec un sentiment d’inachevé. »
Transmettre et se souvenir
Aujourd’hui retraité et pompier honoraire, Bernard Vélia reste profondément attaché à son uniforme. « On ne quitte jamais vraiment la maison. » Il s’investit dans l’Association des Amis du Musée des Sapeurs-Pompiers de La Réunion et de l’Océan Indien. « C’est un devoir de mémoire, un devoir de transmission. On a connu une époque où on faisait avec peu, mais avec cœur. Il faut que les jeunes sachent d’où ils viennent. Transmettre, c’est aussi rappeler qu’aucun geste n’est anodin face au risque, et qu’agir à temps, c’est sauver des vies. »
Son regard s’éclaire : « Quand je vois ce qu’est devenu le SDIS, je me dis qu’on a bien fait notre part. » Puis, après un silence : « J’espère que le musée, lui aussi, fera sa part : rappeler qu’avant tout, être pompier, c’est une histoire d’hommes, de femmes et de valeurs. »
- Il s’agit d’un véhicule tout-terrain de marque Mercedes-Benz, utilisé comme engin-pompe ou véhicule polyvalent dans les années 1970-1990 ↩︎
- VTU (véhicule tout usage), souvent utilisé pour les interventions légères ou le prompt secours. ↩︎
- Il s’agit du centre de régulation du 18/112, chargé du traitement des appels d’urgence et du déclenchement des secours. ↩︎



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