Maïdo 1988. « La guerre des tranchées » vue par Jean-Yves Pontiac
Sergent-chef en 1988, Jean-Yves Pontiac dort à même le sol, se relève avant l’aube, reprend la pioche. L’appareil photo en bandoulière, il documente ce que la mémoire dilue : lisières ouvertes au corps, nuits blanches, moyens comptés. « On a souffert de tout. Surtout du froid. » Les clichés montrent le givre au rassemblement de 7 h devant le PC Tamarins. Chaque matin, même consigne : « Repérer et traiter à la pioche » les reprises allumées loin devant par des pommes de pin incandescentes catapultées par le vent. Apprentissage brutal : le massif renvoie la théorie à l’essentiel.
Maïdo, septembre 1988. Feu de lisière sur la planèze : l’engin tient la ligne sous le vent.
PC Tamarins, centre nerveux sous tension
Le PC s’installe au gîte des Tamarins. Autour de la table, des noms qui structurent l’action : le commandant Jean-René Poudroux ; les lieutenants Zéfir et Fontaine Gaston ; Payet Marie-Nelle — première femme sapeur-pompier professionnelle du SDIS ; Pontiac lui-même ; Solente, « maillon discret ». Pontiac se souvient : « Nombreux sont les pompiers qui ont œuvré pour lutter contre l’incendie : Debalmann, Lowinsky, Garsany, Zibel… et bien d’autres encore ! » Les communications défaillent : les motards de la CRS servent de courroie de transmission avec la préfecture. Pas de moyens radios fiables dans les engins ; sur la piste du Tévelave, se croiser relève du compromis permanent.
PC Tamarins depuis l’hélico : nerve-center d’une opération au long cours.Intérieur du PC : loin des moyens actuels !
PC Tamarins, 7 h. Givre au sol : « On a surtout souffert du froid. » À gauche, Patrick Vénérosy.
Briefing au PC Tamarins : chaîne de commandement et premières SP professionnelles côte à côte.Messages pour le préfet par motocyclistes de la CRS. Radios défaillantes, liaisons à l’ancienne.Piste du Tévelave : pas de réseaux fiables, circulation contrainte en poussière.
Le « Parc à Bœufs » — prononcer « Bé » — revient dans les échanges radio. Sa seule mention déclenche des rires. Soupape courte. La fatigue reprend aussitôt.
« Parc à Bœufs » : un toponyme qui détend les rangs, la fatigue sur pause.
« Tenir la ligne » : tactique au sol, logistique précaire
Le terrain commande. Chaîne d’attaque alignée le long d’un établissement profond, lance en tête ; moto-pompe flottante mise à l’eau pour arracher quelques mètres de pression ; refroidissement méthodique des lisières, recherche de points chauds à la main faute d’imagerie thermique généralisée. L’eau manque, le relief casse les véhicules. Pontiac dirige un temps le transit des moyens. Discipline malgré tout : « Même logés dans des conditions difficiles, on laissait propre autour du PC le matin. »
Phénomène déterminant en 1988 : des pommes de pin enflammées arrachées par le vent allument des foyers secondaires loin devant la ligne. Outils adéquats : pioche, grattage, noyage ciblé. Sans caméras thermiques généralisées, le diagnostic passe par la main sur le sol, la lecture des fumerolles, l’expérience acquise.
Travail au sol : établissement profond, lisière en traitement et reprise contenue.Hydraulique de fortune : capter, relever, tenir la pression en altitude.
Premier largage de la journée, yeux du préfet braqués vers le ciel : le pilote d’hélicoptère se trompe de commande et largue… le seau. Il restera accroché aux arbres quatre jours. Le reste est plus classique : ballet mêlé d’hélicoptères civils et d’un Puma militaire, cycles de bambi bucket, reconnaissance, reprise des cadences. Photo après photo, l’ajustement progressif sol-air se lit malgré l’instabilité des liaisons.
Premier « largage » : le seau accroché aux arbres. Quatre jours pour le récupérer.Pré-accrochage du bambi : correction après la bévue, cycles de largage repris.Appuis aériens mixtes : Puma des FAZSOI et hélico civil sur bambi bucket.
Les hommes du Maïdo : figures droites, fatigue plate
Les militaires, « au point de s’endormir au sol, pelles rangées ». Les ouvriers de l’ONF, « qui connaissaient le massif par cœur ». Marius Filain, seul, pelle plantée, calot vissé : image nette de l’effort au sol. Au-delà des distinctions, un fait : tout se gagne à la pelle et à la lance, au rythme du vent.
Marius Filain, la pelle comme drapeau : la guerre des tranchées version Maïdo.
Renforts de l’armée. Épuisement, pelles au garde-à-vous, sommeil à même le sol.
Vénérosy : perception de terrain, réalité documentaire
Pontiac assume le paradoxe : « Pour moi, Vénérosy a sauvé l’image des pompiers. » Sur le moment, l’homme cristallise une attente d’autorité, cadre les regards, rassure. La documentation d’époque parle d’une usurpation d’autorité en 1988 et, plus largement, des failles d’un dispositif encore communal : hiérarchies floues, contrôles lacunaires. Les deux niveaux coexistent : l’efficacité perçue par les équipes dans l’instant, puis la réforme structurelle qui s’ensuit. Professionnalisation du SDIS, ossature d’officiers, doctrine partagée, filières spécialisées ferment la parenthèse.
1976 — Maïdo. ~ 350 ha dont 120 ha de tamarinaie : première alerte sérieuse sur la vulnérabilité du massif.
1988 — De la Chaloupe aux Makes. ~ 3 500 ha : « guerre des tranchées », communications précaires, logistique sous contrainte.
2010 — Maïdo. 800 ha : première venue d’un DASH dans l’île, pélicandrome improvisé, déclic organisationnel.
2011 — Bénares / Tévelave / Makes. 2 834 ha : DIH engagé, double DASH, base vie structurée, réunions COS-DOS quotidiennes ; passage éteint des mois plus tard, propagation souterraine.
2020 — Maïdo. ~ 180–200 ha : départ d’origine humaine avérée, indisponibilité initiale du DASH, barrière de retardant à la Glacière, sentiers de Mafate fermés pour instabilité des remparts.
Ce que 1988 a légué : méthode et filières
Méthode. Lisières tenues, reprise traquée, refroidissement profond, hygiène de PC maintenue malgré la fatigue.
Chaîne de commandement. Clarification des rôles, articulation SDIS-ONF-forces de l’ordre.
Filières et moyens. DIH, AÉRO, pélicandrome, montée en charge des CCF, doctrine d’attaque rapide, reconnaissance aérienne utile mais subordonnée au sol.
1988, matrice des crises suivantes
Ce qui se joue en 1988 prépare 2010 et 2011 : ennemi aussi souterrain ; logistique dimensionnée sur la durée ; appui aérien utile mais jamais suffisant ; centralité de l’exécution au sol et de la coordination inter-services.
Conclusion
Maïdo 1988 n’a rien de spectaculaire au sens médiatique actuel. Addition d’efforts endurants, reprises étouffées, nuits froides, hésitations corrigées. École de rigueur : tenir la ligne, remettre en ordre le PC, recommencer. Pontiac ne revendique rien d’autre. Cette sobriété dit l’essentiel.
Reconnaissance officielle. « Pas de médaille, mais la conscience tranquille. »
« Mon inséparable appareil » : des images pour mémoire, au cœur de l’action.
Officier supérieur de sapeurs-pompiers à La Réunion, ancien cadre de la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris. Chef du centre de secours principal de Saint-Pierre. Auditeur de l’IHEDN (session régionale océan Indien), doctorant en civilisation allemande, chargé d’enseignement universitaire en histoire, anglais, allemand et gestion des risques. Président d’associations dédiées à la mémoire et au patrimoine des sapeurs-pompiers. Auteur et chercheur engagé dans l’étude des services de secours à l’échelle internationale, en particulier en Bavière et à La Réunion. Professionnel rigoureux, polyvalent, tourné vers l’action et la transmission.
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